Droit du Travail: Les Nouveautés sur le Télétravail

La crise sanitaire a bouleversé nos modes de travail, propulsant le télétravail au premier plan des préoccupations des entreprises et des salariés. Depuis, cette modalité d’organisation s’est ancrée dans le paysage professionnel français, obligeant le législateur à adapter rapidement le cadre juridique. Exploration des dernières évolutions réglementaires qui façonnent aujourd’hui le télétravail en France.

L’évolution du cadre légal du télétravail en France

Le télétravail a connu une transformation significative dans son encadrement juridique au cours des dernières années. Initialement introduit dans le Code du travail par la loi du 22 mars 2012, le dispositif a été considérablement assoupli par les ordonnances Macron de septembre 2017. Ces réformes ont notamment supprimé l’obligation de modifier le contrat de travail pour mettre en place le télétravail, facilitant ainsi son déploiement.

L’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 est venu préciser les modalités d’application du télétravail dans un contexte post-crise sanitaire. Contrairement à l’ANI de 2005, ce nouvel accord n’a pas été étendu, mais il constitue néanmoins une référence importante pour les entreprises souhaitant encadrer cette pratique. Il introduit notamment des recommandations sur l’éligibilité des postes, la réversibilité du télétravail et la prise en charge des frais professionnels.

Plus récemment, la loi Santé au travail du 2 août 2021 a intégré le télétravail dans la démarche d’évaluation des risques professionnels de l’entreprise. Les employeurs doivent désormais prendre en compte les risques spécifiques liés au télétravail dans leur document unique d’évaluation des risques (DUER), notamment les risques psychosociaux et ergonomiques.

Les modalités de mise en place du télétravail

La mise en place du télétravail peut s’effectuer par différents moyens juridiques. L’accord collectif demeure l’outil privilégié pour définir un cadre adapté aux spécificités de l’entreprise. À défaut, l’employeur peut élaborer une charte après consultation du comité social et économique (CSE) lorsqu’il existe. En l’absence de ces dispositifs, un simple accord entre l’employeur et le salarié, formalisé par tout moyen, suffit.

Le principe du double volontariat reste la règle cardinale : le télétravail ne peut être imposé ni par l’employeur ni par le salarié, sauf circonstances exceptionnelles comme une menace d’épidémie ou en cas de force majeure. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé dans plusieurs arrêts récents que le refus d’accepter un poste en télétravail ne constitue pas un motif de licenciement.

Les accords de télétravail les plus récents tendent à intégrer des dispositions sur le droit à la déconnexion, les plages horaires pendant lesquelles le salarié peut être contacté, ou encore l’organisation de jours de présence obligatoire sur site pour maintenir le lien social. Comme le soulignent les experts de ce cabinet spécialisé en droit du travail, l’enjeu est de trouver un équilibre entre flexibilité et protection des droits du salarié.

Les obligations de l’employeur envers le télétravailleur

L’employeur conserve l’intégralité de ses obligations légales et conventionnelles à l’égard du télétravailleur. Il doit notamment veiller à la protection de la santé et de la sécurité des salariés en télétravail, ce qui implique une vigilance particulière quant aux conditions de travail à domicile.

La prise en charge des frais professionnels liés au télétravail constitue un point de friction récurrent. Si le Code du travail ne prévoit pas d’obligation spécifique, la jurisprudence considère que les frais engagés par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle doivent être supportés par l’employeur. Cela peut inclure une participation aux frais d’internet, d’électricité, voire d’aménagement d’un espace de travail.

L’URSSAF a d’ailleurs précisé que les allocations forfaitaires versées aux télétravailleurs sont exonérées de cotisations sociales dans la limite de 10 euros par mois pour une journée de télétravail hebdomadaire, 20 euros pour deux jours, et ainsi de suite. Au-delà, l’employeur doit justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié.

L’employeur doit également veiller à l’égalité de traitement entre télétravailleurs et salariés sur site. Cela concerne tant l’accès à la formation que l’évolution de carrière ou la charge de travail. Les entretiens professionnels peuvent être l’occasion d’aborder spécifiquement les conditions d’exercice du télétravail et d’identifier d’éventuelles difficultés.

Les droits et devoirs du salarié en télétravail

Le télétravailleur bénéficie des mêmes droits individuels et collectifs que les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise. Il conserve notamment son droit à la formation, aux entretiens annuels, et à la participation aux élections professionnelles.

Le salarié en télétravail doit respecter les règles fixées par l’employeur concernant l’utilisation des équipements et outils informatiques. La confidentialité des données et la sécurité des informations de l’entreprise doivent être préservées, ce qui peut justifier l’adoption de chartes informatiques spécifiques au télétravail.

La Cour de cassation a récemment précisé que le télétravailleur doit rester disponible pendant les horaires de travail convenus. L’absence de réponse répétée aux sollicitations de l’employeur pendant ces plages horaires peut constituer un manquement susceptible de justifier une sanction disciplinaire, sous réserve que ces horaires aient été clairement définis.

Le droit à la vie privée du télétravailleur doit cependant être respecté. L’employeur ne peut exiger l’installation de logiciels de surveillance qui porteraient une atteinte disproportionnée à ce droit fondamental. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a d’ailleurs publié des recommandations strictes concernant la surveillance des télétravailleurs.

Les enjeux actuels et perspectives d’évolution

Le développement du télétravail soulève des questions juridiques nouvelles que les tribunaux commencent à trancher. Ainsi, la qualification d’accident du travail pour un incident survenu au domicile pendant les heures de télétravail a été reconnue par plusieurs arrêts récents, confirmant l’application de la présomption d’imputabilité au télétravail.

La question du contrôle du temps de travail reste également un sujet délicat. Si l’employeur doit s’assurer du respect des durées maximales de travail et des temps de repos, les modalités de ce contrôle doivent être adaptées au télétravail et respecter la vie privée du salarié. Certaines entreprises optent pour des systèmes déclaratifs, d’autres pour des outils de connexion/déconnexion aux systèmes informatiques.

Le télétravail à l’étranger constitue un autre défi juridique majeur. Au-delà des questions de droit du travail, il soulève des problématiques de droit de la sécurité sociale, de fiscalité internationale et parfois de droit de l’immigration. La loi applicable au contrat de travail peut devenir incertaine en cas de télétravail prolongé depuis un pays étranger, créant un risque juridique pour l’employeur.

Enfin, l’hybridation du travail – alternance entre présence sur site et télétravail – semble s’imposer comme le modèle dominant. Cette organisation mixte nécessite une adaptation des pratiques managériales et des outils juridiques pour garantir cohésion d’équipe et équité de traitement, tout en prévenant les risques d’isolement professionnel.

Le contentieux émergent autour du télétravail

Les litiges liés au télétravail se multiplient devant les conseils de prud’hommes, dessinant progressivement les contours d’une jurisprudence spécifique. Plusieurs décisions récentes méritent l’attention des employeurs et des salariés.

Le Tribunal judiciaire de Paris a ainsi jugé en février 2021 qu’une entreprise ne pouvait pas imposer unilatéralement à ses salariés de télétravailler cinq jours sur cinq sans négociation préalable, même pendant la crise sanitaire. Cette décision souligne l’importance du dialogue social dans la mise en place du télétravail, y compris en période exceptionnelle.

La question de l’indemnisation des frais de télétravail génère également un contentieux croissant. Plusieurs jugements ont condamné des employeurs à verser des indemnités pour occupation du domicile à des fins professionnelles, notamment lorsque le télétravail avait été mis en place sans accord préalable définissant la prise en charge des frais.

Le droit à la déconnexion fait aussi l’objet d’une attention particulière des juges. Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles a récemment reconnu le harcèlement moral d’un salarié soumis à des sollicitations professionnelles constantes en dehors de ses heures de travail, y compris pendant ses périodes de repos et de congés.

Ces décisions illustrent l’importance pour les entreprises d’encadrer précisément les conditions du télétravail par des accords collectifs ou des chartes détaillées, afin de prévenir les risques de contentieux.

Le télétravail, initialement perçu comme une réponse temporaire à la crise sanitaire, s’est désormais ancré durablement dans le paysage professionnel français. Son cadre juridique continue d’évoluer au gré des négociations collectives et des décisions de justice. Pour les employeurs comme pour les salariés, la maîtrise de ces règles constitue un enjeu majeur pour concilier flexibilité organisationnelle, performance économique et protection des droits fondamentaux. L’équilibre reste à trouver entre l’autonomie accordée au télétravailleur et les nécessaires garanties en matière de santé, de sécurité et d’équité de traitement.